D’un point de vue général et descriptif, le mal répandu désigné sous le nom de « dépression », correspond à un ensemble de signes somatiques et psychiques parfois chroniques, plus ou moins durables, plus ou moins intenses, parmi lesquels, entre autres: la fatigue, l’épuisement, la perturbation du sommeil, la tristesse, le ralentissement, la perte de toute motivation, les idées noires, l’auto-dévalorisation et la négativité envers les autres…
Cerveau et pensée ne sont pas deux entités séparées: le dérèglement est à la fois neurologique, en lien avec l’activité chimique et électrique du cerveau, et psycho-affectif, c’est-à-dire lié à notre état mental et à nos émotions.
Il est difficile de déterminer, en l'état actuel des connaissances, si c’est un dérèglement cérébral qui provoque les affects et pensées dépressifs ou si à l’inverse, c’est le dérèglement psycho-affectif qui déséquilibre les processus neuronaux.
A moins que ce soit un processus bidirectionnel, qui rend compte de la complexité de l'être humain. En ce cas, médecine et psychothérapie se rapportent à des plans de réalité distincts - l'un biologique et l'autre psychique - qui indiquent le même dysfonctionnement.
Du point de vue psychique, la découverte du sens à donner à ses difficultés et à sa propre vie dans le cadre du lien thérapeutique en psychothérapie est un facteur essentiel de guérison, que la souffrance soit corporelle, mentale, ou les deux à la fois.
La dépression s’éprouve comme une perte durable du plaisir de vivre accompagnée de tristesse, parfois en décalage avec la réalité « objective ».
Par exemple, on souffre de trouver sa vie « nulle » ou de se sentir mal alors que tout va bien, ou alors qu'on estime avoir le nécessaire pour être heureux. On se sent incompris des autres et on ne se comprend pas soi-même, la vie paraît compliquée. Tout cela est accompagné d'un sentiment de culpabilité écrasant, de frustration et de colère en partie inconscients.
Ou alors, on ne se remet pas d’une perte qui nous rend inconsolable, avec le sentiment de s'être perdu soi-même en perdant l'objet de son désir. Ce peut être la perte d’un être aimé, d’un idéal, d'une qualité, de sa jeunesse… Cette perte entraînant à son tour celle du désir et de la capacité d'aimer.
On voudrait redevenir comme «avant» le basculement, la déception et la désillusion. La vie devenue décevante semble avoir perdu tout charme, comme le monde extérieur et les autres qui ne suscitent plus d'intérêt ni d'investissement. Le lien entre soi, le monde et les autres s'est fragilisé.
S'il est normal de traverser des périodes de grande tristesse dans une vie, on peut faire la différence entre une déprime passagère comme l’état dépressif normal qui succède à un deuil ou à une séparation par exemple, et une dépression plus profonde.
Tandis qu'une personne "normalement" déprimée sait qu’elle traverse un moment (très) difficile et qu’elle en sortira, éventuellement avec l'aide d'un soutien psychologique ponctuel, une autre n’arrivera pas à prendre ce recul. Parce qu'elle s'est effondrée en même temps que la perte de ce qui la soutenait. Rien ni personne au monde ne peut remplacer ce qui a disparu pour elle.
Elle se trouvera submergée par l’angoisse, aux prises avec un conflit intrapsychique inconscient qui renvoie à sa propre histoire. En ce sens, il n'existe pas de dépression dont la cause et la nature seraient les mêmes pour tous. "La dépression" est une désignation banale et néanmoins trompeuse: au plan psychique, chaque dépression se situe à un certain degré de désillusion, plus ou moins (in)surmontable; chacune a son histoire, s'est développée chez une personne particulière et dans un contexte de vie, une famille, et une culture spécifiques.
Donald Winnicott évoque le sujet dans La famille suffisamment bonne:
"Nous ne voulons pas qu’on nous secoue comme un prunier pour nous sortir de cette humeur, mais un véritable ami nous tolère, nous aide un peu, et attend"
Imaginez qu'une personne tombe dans un gouffre: allez-vous lui dire, même si l’intention est bonne, qu’il y a « pire », « plus malheureux », « moins chanceux », qu’il ne faut pas se plaindre ou bien, que « c’est la vie », que « ça passera » ? Cela revient à vous maintenir solidement ancré au bord du gouffre en utilisant vos deux mains pour ne pas y chuter vous-même pendant que vous lui parlez.
Cela n’aura, dans le meilleur des cas, aucun effet. La personne en dépression entendra moins la "bonne intention" dans ces paroles que le reproche de ne pas être à la hauteur, tandis qu'elle chute sans fin...
Le fait de minimiser, de relativiser, de comparer ce que vit la personne en dépression, ou le fait de la secouer ne l'aide pas: cela risque au contraire d’amplifier sa tendance au repli sur soi, de confirmer son manque de confiance et sa négativité envers les autres et envers elle-même, alors qu'elle peut parfois donner l’impression, par ailleurs, de vivre normalement.
L'attitude inverse consiste à se laisser envahir par l'émotion au point de finir par se déprimer soi-même: en reprenant l'image de la personne qui chute dans un gouffre, cela revient à tendre ses deux bras pour "sauver" l'autre, si bien qu'on chute avec lui.
Une façon de l'aider consisterait, d'une part, à continuer à être et à vivre normalement: c'est le bras d'appui qui maintient en sécurité; d'un autre côté, on lui tend la main en accueillant et en contenant autant que possible l'expression de sa souffrance sans la juger. On peut accompagner, dès qu'il apparaît, le désir de sortir et de s'en sortir, en tenant compte de la sensibilité de la personne.
Il n'est pas simple ni toujours possible d'atteindre un tel équilibre dans la relation avec un proche en souffrance; l'effort conscient pour tendre vers cet équilibre est déjà un bon début.
La guérison rapide ou spontanée est improbable, en dehors des états dépressifs ponctuels, dans la mesure où la rupture de l’équilibre psychique n’a pu avoir lieu que sur un terrain favorable, c’est-à-dire dans un psychisme déjà fragilisé.
Sortir de la dépression, ce n’est donc pas redevenir « comme avant », entre autres raisons parce que ce fonctionnement ancien a précisément constitué la condition de possibilité de la dépression.
Mais il est nécessaire de revisiter ce moi d' "avant" et ses blessures toujours bien présentes pour comprendre et dépasser ce qui entrave sa capacité actuelle à désirer et à aimer.
« Aller de l’avant », dans ce cas, signifie se transformer petit à petit, accepter de perdre, apprendre à devenir soi, c'est-à-dire bien conscient de soi et différent; s'individuer, dirait Carl Gustav Jung, à travers un processus qui demande un certain temps et du courage, autant pour la personne concernée que pour son entourage. L'acceptation est, contrairement à la résignation, un processus actif à la source du renouveau psychique.
La dépression n'est pas une fatalité et elle se soigne! Que l'on suive ou non un traitement médicamenteux, il est important de comprendre la source des pensées qui ont mené à la dépression.
Une personne en dépression peut entreprendre une psychothérapie auprès d’un professionnel pour être accompagnée dans son changement, écoutée et entendue de manière bienveillante, régulière et attentive sans se sentir jugée.
Elle apprendra, dans un tel cadre, à ressentir et à identifier les émotions restées bloquées ou longtemps refoulées, à dire les mots qu’elle n’avait jamais formulé, à transformer sa culpabilité écrasante en regrets qu'elle peut assumer.
La psychothérapie lui permettra de diminuer sa souffrance ou de s'en libérer en se réappropriant sa vie, de retrouver confiance en elle, dans les autres, et en ce qui est à venir.
Alisa El Beze - Thérapeute analytique
83, rue de Suez - 34070 Montpellier
06 44 84 28 60
Un groupe de parole sur la dépression est prévu à Montpellier pour la rentrée 2022-2023, dans le cadre de la Psychodynamique Sociale de l'EIPA. Pour plus d'informations, vous pouvez me contacter au 06 44 84 28 60.